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Cette facette de la société traditionnelle Touarègue qui
a souvent servi d´argument pour expliquer la répression engagée
envers les Touaregs, reste encore aujourd´hui un point sombre pour les
observateurs internationaux.
Les gouvernements du Niger et du Mali en guerre avaient trouvé là
un argument de poids pour faire réagir les populations occidentales,
qui se retrouvaient par là finalement fières d´avoir colonisé
et tenté de raisonner dans le sang ces hommes hors du temps.
L´origine de l´esclavage chez les Touaregs réside en partie
dans la très hierarchisée société Touarègue.
L´Akli, comme
l´Abîd en Mauritanie, est le plus bas échellon de l´organisation
sociale Touarègue. Les appartenances éthniques ont bien sûr
joué un grand rôle dans cette organisation... ce sont les Noirs
qui subirent ici la domination militaire des Arabes et des Berbères,
délaissant leur culture pour adopter celle de leurs nouveaux conquérants.
Les Iklan étaient autrefois capturés au Soudan, puis ils vinrent ensuite de toutes origines... il semblerait qu´ils n´aient été devenus esclaves que parce qu´ils avaient la peau noire :la racine du mot Iklan semble en effet être dérivée de "Kl" qui signifie : "être Noir". Les esclaves des Touaregs ont formé une lignée propre de descendants, et lorsqu´il devint difficile de livrer des guerres à outrance, les descendants des esclaves servaient les descendants de leurs maitres.
Les Iklan doivent une totale obéissance à leurs maitres, ils
gardent les troupeaux, ils assurent les travaux ménagers, l´extraction,
l´empaquetage, le chargement et le portage des quilles de sel sur les
dromadaires des caravanes ...
Le statut de l´esclave est pour les occidentaux très difficile
à transposer et à comprendre.
À l´image de l´esclave Noir-américain, l´Akli est théoriquement privé du droit fondamental de liberté.
En général les Iklan sont préposés à la garde du troupeau, souvent absents du campement ils ne se marient pas. Une femme taklid peut se trouver au campement, auquel cas le maitre peut décider de leur mariage ; ou bien l´akli décider seul du choix de son épouse, auquel cas le consentement du maitre est tout de même indispensable. Si l´Akli se marie dans un même campement, il reçoit de son maitre une chèvre pour la dot, ce qui suffit selon les règles. S´il s´aventure à vouloir prendre pour épouse une taklid d´un autre campement, il ne bénéficiera plus du don de son maitre et devra s´arranger pour réunir une dot beaucoup plus conséquente (10 chèvres).
Les iklan ne peuvent non plus faire bénéficier leurs enfants d´un héritage, car tout est possession du maitre et à leur mort, toutes les possessions de l´akli reviennent à son maitre (Note: un lecteur anonyme m'a fait la remarque que cette allusion est fort probablement fausse). ).
Cependant la comparaison avec les esclaves Noirs américains s´arrête là.
Si de nombreuses règles régissent le régime des iklan
dans le campement, ils disposent cependant d´un statut un peu plus complexe
que lors d´une simple relation dominant-dominé.
Le campement agit comme une micro société, et la proximité
jouant, les relations sont plutôt détendues entre maitres "Imouhar"
ou "Imzad" (nobles et artisans) et "iklan". Les esclaves
Touaregs bénéficient d´une certaine liberté, la vie
nomade aidant, et les esclaves se doivent de participer à la vie sociale
du campement, d´en récolter les malheurs et les bénéfices.
L´hostilité du désert rapproche également maitres
et esclaves, les difficultés des uns étant indissociables des
difficultés des autres. Ce n´est bien sûr pas partout le
cas, mais les Iklan et les Imouhar mangent souvent à la même table,
cela vient entre autre du fait que les enfants des deux castes sont élevés
ensembles, sans distinction d´appartenance : a complicité est indéniable.
Point intéressant également, les Touaregs nobles ne peuvent pas
se séparer de leurs esclaves devenus trop vieux, ils ont le devoir de
les prendre en charge de la naissance à la mort.
En revanche si un esclave fait une faute grave, il perdra définitivement
toute considération et le maître aura droit de vie ou de mort sur
son esclave.
L´akli a également le droit de demander à changer de maitre si celui-ci le maltraite! Mais il faut compter avec la colère de ce dernier qui en général s´arrange pour que l´akli paie ce passage en y perdant ses quelques privilèges... en commettant par exemple une faute grave à sa place!
Les Touaregs nobles parfois se sont pris de passion pour une taklid, et se
mettent en concubinage avec celle-ci :il se trouve que la femme Targuia noble
a une place de choix dans la société Touarègue, les hommes
lui doivent un grand respec et en courtisant une taklid, ils s´évitent
donc certains caprices et une dot de mariage conséquente. Les enfants
de ces couples mixtes sont libres, mais ne sont pas Imouhar, nobles, il forment
une caste intermédiaire : les iborelliten.
Les femme elles aussi se compromettent parfois avec un akli, mais entâchent
de ce fait sévèrement leur réputation auprès du
campement... le fait est pourtant courant, protégé par la légende
qui les empêche d´avoir des enfants de cette relation.
Notons enfin que les esclaves bénficient parfois d´un capital : quelques chèvre qui lui appartiennent, offertes par le maitre.
On peut rapprocher cette notion de son équivalent européen du
moyen âge, les serfs (mot d´origine arabe) peuvent recevoir cette
faveur du maitre lorsqu´ils ne sont plus capables de rendre service, lorsque
trop vieux, son maitre le libère et l´akli devient iderfen, affranchi.
C´est aussi en guise de remerciement lorsque les iklan ont aidé
courageusement leur maitre lors d´une des innombrables guerres de clans,
cela a été fait à quelques reprises, notemment chez les
Touaregs du Soudan.
Les iderfen se sédentarisent et reviennent à la culture, ou à l´élevage. Ils s´associent en général avec des cultivateurs et survivent tant bien que mal aux limites du Sahel.
Il existe une forme particulière d´affranchissement, qu´il est plus juste d´appeller don de semi-liberté.
Il est donné souvent lorsque les esclaves sont devenues trop nombreux,
ou que le maitre ne peut plus nourrir son aklit.
Dans ce cas le Targui noble reste toujours maitre, il a pouvoir sur les biens
et la personne. En cas de guerre il peut faire appel á eux pour porter
les armes. Bellah, Bouzou, iklan n egef (prisonnier des dunes), ces semi affranchis
font des petits travaux artisanaux, poterie, ramassage de bois, et peuvent gagner
leur vie librement. Ils forment à eux seuls des clans organisés
où ils se hiérarchisent, et vivent finalement comme leurs maitres
passés : sous la tente (on en rencontrait surtout dans les régions
de Gao et Tombouctou au Mali).
Les partisans du colonialisme s´arrangent à dire que l´esclavage a disparu grâce à la présence des français! S´il est vrai que les français ont milité sur place pour la disparition de ces pratiques, il n´était pas possible de faire disparaitre un phénomène ancré dans une société millénaire.
Les tentatives d´abolition totale de l´esclavage n´ont pas abouti la plupart du temps. La libération de femmes et d´hommes par une autorité extérieure au camp désoriente les esclaves libérés, qui ne voulant plus se remettre au travail de la terre, survivent tant bien que mal en marge des sociétés qu´ils côtoient. Dans les initiatives modernes d´abolition de l´esclavages, une attention particulière est portée à cette forme de reconversion (voir article en fin de texte).
La fin de l´esclavage fut inexorable dans les années 60 avec l´influence des autre cultures sahariennes ainsi que la disparition des rezzou (razzias) et des guerres de clans, les femmes touarègues se sont doucement mises à remplacer leurs esclaves pour les tâches ménagères et battre le mil par exemple.
Lorsque la rébellion Touarègue se développa à partir de 1990, de nombreux anciens esclaves prirent aussi les armes, ils ont même formé un mouvement propre : l´Armée Révolutionnaire de l´Azawad au mali (ARLA).
La relation maître-esclave chez les Touaregs est une relation complexe, un mélange de complicité et de servitude, mais aussi un respect historique de cette hiérarchie pour les deux partenaires. Le fait d´avoir voulu abolir l´esclavage de façon brusque aurait impliqué que la relation entre l´imouhar et l´akli soit un rapport de domination inconditionnelle, ce qui n´était pas le cas.
Henri Lhote (voir plus bas) dans son ouvrage qualifie ces rapports de "rapports humains". Si il est vrai que l´esclavage est une notion qui touche beaucoup les européens, qui ont tous étudié au lycée la vision qu´avait Montesquieu par exemple sur ce point, c´est aussi une notion qui dans le contexte des sociétés Touarègues prend une connotation particulière : société primitive, nomade et dans un milieu hostile... l´organisation du campement s´est découpée en fait selon les forces et les faiblesses actuelles de chacun, et les acteurs de la société semblent accepter leurs rôles respectifs.
Aujourd´hui pratique illégale, des cas isolés existent
encore : voici le témoignage ()
d´une association : Timidria,
qui tente de lutter contre les formes d´esclavage qui subsistent chez
les populations nomades.
L´esclavage moderne est plus sporadique et beaucoup plus violent, l´Association
Nigérienne pour la défense des droits de l’homme (ANDDH) s´est elle aussi
plainte de cas isolés d´enlèvements par des Touaregs blancs.
Au sud de l´Algérie il subsite également des tribus qui
le pratiquent comme le montre cet article (groupement d´articles du Monde)
()
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référence :
Les Touaregs du Hoggar, H. Lhote, voir la page de crédits sur les ouvrages
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